Ethnographie de la langue maternelle

Le projet au départ : question de compétences linguistiques.

Au début, j’ai commencé à parler avec Jeannette pour améliorer mes compétences linguistiques. Je parlais très mal le breton. Je l’ai appris sur le tard, dans des associations. J’ai une licence de breton que j’ai passée à l’Université de Rennes. J’ai demandé à Jeannette de me parler breton ; elle a accepté. Au fil du temps, je me suis mis à enregistrer nos échanges.
A l’écoute des enregistrements, j’ai été très surpris de l’entendre parler avec une voix que je ne lui connaissais pas. Une musicalité, un phrasé, même une tessiture que je n’avais jamais entendus. Pourtant, je la connais bien la voix de ma mère, évidemment ; depuis toujours. Mais nous nous sommes toujours parlé en français. Là, quand elle parlait en breton, j’entendais une autre voix ; très belle.
Longtemps, je me suis interrogé sur cette musicalité que je ne lui connaissais pas… Un jour, j’ai compris : elle parlait sa langue maternelle.

La langue maternelle

Langue maternelle : c’est une langue que, presque,  on n’apprend pas ; on la reçoit dans le giron de sa mère, dans les bras de son père ; et puis on incarne cette langue en soi. C’est la langue des émotions premières, de la première sociabilité, de la première parole.
Il y a le souffle de soi dans la langue maternelle. C’est irrépressible. C’est la différence entre Jeannette et moi. A force, je pourrais bien faire corps avec le breton ; mais cette langue n’est pas ma langue maternelle ; c’est la langue d’une identité seconde. Mais pour Jeannette, le breton est sa langue maternelle. Quand elle parle breton, c’est comme si elle manifestait une identité première ; une identité qui ne se dit pas forcément en français ; et qui peut surprendre ses proches (même ceux qui ne parlent pas breton).

Ethnographie de la langue maternelle

A l’École des Hautes des Sciences Sociale, à Paris, Francis Zimmermann co-anime depuis de nombreuses années un séminaire intitulé « Anthropologie et linguistique ».
A la fin des années 1990, il avait consacré une série de séminaire à la langue maternelle : Ethnographie de la langue maternelle. J’avais suivi ces séminaires. Cet enseignement a apporté à ma compréhension des choses, une clarté que je n’ai jamais oubliée.
Quand, j’ai pris conscience qu’il était question de la langue maternelle dans mes entretiens avec Jeannette (je me souviens du moment exact), ce séminaire que j’avais suivi près de 20 ans plutôt m’est revenu à la mémoire, triomphant.
Ethnographie : enquête de terrain longue et immersive. Dans une éthique d’égalité en tout, il s’agit d’une plongée empathique dans la vie sociale de personnes, de communautés de personne avec qui on fait corps (social), au moins pour un temps.
Langue maternelle : cette langue de l’identité première dont on vient de parler.
Je donne à mon enquête, le titre de « Ethnographie de la langue maternelle » ; j’espère que Francis Zimmermann acceptera cet emprunt.
L’enquête que je mène n’est pas une enquête sur le breton ; elle est une enquête sur la langue maternelle de Jeannette et de ses ami.es.